Journalisme citoyen = absurdité 2.0
La mode actuelle sur internet consiste à valoriser à outrance le travail des amateurs (crowdsourcing). Au point d’en finir par créer des concepts complètement absurdes. Le dernier en date est celui déjà largement utilisé de « journalisme citoyen ».
On désigne par cette appellation, les internautes qui fournissent aux sites d’information leur regard et leurs infos sous la forme d’articles, de vidéos ou de sons. Comme il faut pouvoir différencier le travail des journalistes professionnels (ceux qui ont suivi une formation, qui respectent des règles de déontologie, qui disposent d’une carte de presse, etc ) de celui des internautes, sans pour autant faire de jalousies, certaines têtes pensantes ont imaginé le terme de « journaliste citoyen ». Autant dire que cette appellation ne veut absolument rien dire et pose des questions de fond sur la perception que nous avons de la presse. On pouvait parfaitement imaginé une distinction aussi simples que journalistes / lecteurs, journalistes / chroniqueurs, journalistes professionnels / journalistes amateurs, etc. Seulement pour des raisons que nous verrons par la suite, on a préféré pousser à outrance la valorisation pour mettre à quasi égalité les journalistes amateurs des professionnels.
Mais avant tout, je souhaitais revenir sur le qualificatif de « citoyen » qui a été choisi. Il est à mon sens aussi stupide et dangereux que des concepts comme « le blog est un journal intime sur internet » ou encore « la guerre propre ». Par principe, si on désigne une des populations par cet adjectif, c’est parce que l’autre ne l’est pas, voire même qu’elle s’oppose à ce qualificatif. On met ainsi en compétition des amateurs (citoyens) à des journalistes (non citoyens). Cela signifie-t-il que l’on considère que la presse en général va dans le sens contraire de la bonne vie de la cité ? Est-ce que cela signifie que jusqu’à présent le journalisme n’apportait rien à la vie publique ? Je pense que si certains le pensent, ils sont loin de défendre le concept de démocratie.
Avouez que l’association de ces deux termes est relativement surprenante. D’autre part, jusqu’à aujourd’hui, le terme de journaliste correspond à un métier. En nommant des amateurs par ce titre, on vide à mon sens la spécificité de cette profession. Est-ce que toutes les ménagères qui ont une machine à pain sont aujourd’hui des boulangères ? Bien sûr que non ! Et même s’il peut sembler simple d’écrire un article sur un événement, un produit, une personne, il y a quand même une différence entre le travail d’un amateur et celui d’un professionnel qui a suivi des études pour bien cerner les limites de son métier. Je suis également conscient que la qualité des médias n’est pas toujours à la hauteur de ce que l’on pourrait attendre en matière d’information, mais quoi qu’il en soit la différence existe bel et bien : un journaliste cherche ses informations, vérifie ses sources, les confronte pour apporter l’information la plus neutre possible.
Alors pourquoi cette dérive ? Personnellement, je pense que cet abus de langage n’est pas si inconscient que l’on pourrait l’imaginer. Il montre bien la philosophie qui fait aujourd’hui fonctionner l’internet. Pour se développer sur le web, il faut proposer un très large contenu, continuellement mis à jour (ou plus exactement, alimenté en permanence) pour motiver les gens à revenir sur le site et à diffuser l’adresse du site autour d’eux. Et pour cela, il n’y a rien de mieux que de parler des gens ou de les laisser parler. Derrière cette quête de l’audience se trouve la question stratégique de la publicité. Et pour motiver tous ces gentils amateurs à continuer à fournir du contenu gratuitement ou acheté à faible coût, il est impératif de bien s’occuper de cette poule aux œufs d’or. On leur invente donc des titres comme « journaliste citoyen » pour leur faire croire qu’ils jouent un rôle vraiment essentiel. Alors que dans les faits, ils ne servent qu’à générer du trafic à un très faible coût pour vendre des espaces publicitaires.
En conclusion, je ne souhaite pas révolutionner l’internet car cela serait bien prétentieux de ma part. Mais je veux seulement que le marketing et la communication prennent en compte les impacts que peuvent avoir certaines de leurs inventions. Et dans le cas présent, parce que je crois fermement au rôle de la presse, je trouve que cette appellation est véritablement ridicule et dangereuse. Alors, si vous êtes arrivés à ce niveau de mon billet, j’espère que je vous ai convaincu pour arrêter d’utiliser cette expression, au moins au nom de la liberté de la presse.
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