La désillusion de l’ouverture aux autres
Billet écrit en septembre dans le cadre d’un livre blanc sur les désillusions du web.
Quand j’ai découvert l’internet à la fin des années 90, je croyais profondément au concept de « l’autoroute de l’information ». J’étais persuadé que cette toile numérique allait véritablement nous permettre de découvrir, apprendre et comprendre une multitude de cultures, histoires et informations auxquelles nous n’avions pas accès à travers les médias classiques. Aujourd’hui encore, j’entends des internautes s’enthousiasmer devant l’incroyable potentiel qu’offre le web. Mais, année après année, je me suis rendu compte, que l’usage qu’on en faisait ne nous ouvrait pas aux autres mais au contraire nous renfermait sur nous-mêmes.
Nous ne cherchons pas à découvrir l’inconnu sur internet ; nous cherchons à approfondir ce que nous connaissons déjà. Si nous prenons un peu de recul sur nos habitudes d’internautes, nous nous apercevons très vite que nous ne naviguons qu’autour de nos centres d’intérêt. L’acte le plus simple et le plus répandu sur le web consiste à faire une recherche dans Google en tapant des mots-clés. Ces requêtes sont construites autour de nos références et non selon un lexique commun. Elles ne nous permettent pas d’aller découvrir d’autres choses, d’autres regards, d’autres expériences, que celles et ceux qui partagent les mêmes références que nous. Les résultats d’une recherche ne sont pas forcément les plus pertinents en terme de contenu, mais les plus optimisés en matière de référencement.
Depuis peu, les moteurs de recherche nous suggère des mots-clés non pas en fonction de leur pertinence mais bien en fonction de leur popularité. Les prochaines évolutions annoncées autour de la personnalisation des résultats abondent en ce sens. En effet, notre historique de requêtes, ainsi que les recherches effectuées par les « amis » qui partagent les mêmes centres d’intérêt que nous, seront pris en compte pour déterminer les pages les plus intéressantes. Comment est-il possible dans ce cas, de sortir des sentiers battus pour aller découvrir de nouveaux horizons ?
D’autre part, face à la masse de possibilités qui vous est suggérée en tapant juste quelques mots, comment voulez-vous prendre le temps de regarder dans le détail chacun d’eux ? En un coup d’oeil, vous jugez le sérieux d’un site. Et, vous n’accordez que quelques secondes à un texte, une vidéo, une musique pour savoir si elle vous conviendra. Pourquoi ? Parce qu’il y en a des milliers d’autres de disponibles. Pour avoir la chance d’attirer votre attention, il faut résumer une idée au strict minimum quitte à la dénaturer de son fond. Imaginez les thèses d’Habermas, Debord ou Barthes en tweets de 140 caractères ? Pensez-vous donc qu’il soit possible de prendre le temps de découvrir et comprendre un sujet que vous ne maîtrisez pas dans ces conditions ?
Si c’est le cas, vous ne vous ouvrirez pas aux autres, aux inconnus, mais uniquement à ceux que vous connaissez. En effet, si le web nous ouvrait les portes à une multitude de cultures, nous devrions être plus tolérants et compréhensifs et nous devrions prendre conscience de la complémentarité de chacun. Or, quand on lit, écoute ou discute avec des internautes acharnés ou des professionnels du web, on découvre des discours pauvres en références et souvent très sectaires. Prenez par exemple les discours sur la fin annoncée des médias classiques (presse, livres, disques, …). Pour beaucoup d’entre eux internet va tout révolutionner et remplacer d’un coup de baguette magique des siècles d’évolution. Mais pour quelles raisons ne pourraient-il pas être complémentaires les uns avec les autres ? Pourquoi le monde devrait être uniquement accessible via un terminal informatique et internet ? Parce que ceux qui le pensent, baignent continuellement dans la même culture, et ne sortent pas de leur pré carré.
Si depuis une dizaine d’années, internet a radicalement changé mes habitudes de travail et mes loisirs, je suis conscient qu’il n’a pas tenu sa promesse initiale et qu’il ne la tiendra jamais. C’est pourquoi depuis quelques années, j’ai fait le choix de racheter des livres, des journaux, des disques, … et de m’accorder des temps sans connexion, pour avoir en complément une ouverture vers le monde que je ne connais pas, vers des questions de société dont j’ignore les implications, … Et aujourd’hui, quand j’écris des billets sur mon blog ou quand je pense un site internet, je les conçois pour des gens qui partagent les mêmes centres d’intérêt que le site en question, car je ne suis plus dupe.
Arnaud Meunier
Responsable web marketing depuis une dizaine d’années, actuellement en poste chez Doublet. Il anime depuis 2004, un blog-notes professionnel sur la communication et le marketing (www.arnaudmeunier.com).
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